Ode à mes amis les arbres

[Hélène]

Je le sais ou du moins le suppose: quitte à choisir à l'origine, peut-être eussiez vous préféré être moins immobiles, plus aptes à vous mouvoir et à vous déplacer, ne fût-ce que pour aller à la rencontre de l'arbre-soeur, mais le hasard, la nature, l'évolution, Dieu ou le Diable en ont décidé autrement: vous fûtes astreints à résidence sur la terre, mais à résidence forcée, ancrés à la vie au cœur du sol. Avec pour seule liberté-pour unique évasion- de vous élever pour déployer vos branches dans le vent, le soleil et le ciel. Ce faisant, vous n'êtes pas tout à fait immobiles ni muets: les bruissements frémissements, frissonnements de vos feuillages, c'est votre façon à vous de parler, ce sont vos voix d'air et de souffles, vos rumeurs de ramures, vos chuchotis de cimes ou même, jadis, la voix des esprits ou des dieux qui vous avaient choisis pour demeure. Rappelez-vous les Sibylles, ces prophétesses grecques aux pieds nus qui déchiffraient les paroles de Zeus dans le bruit des feuillages de ses chênes sacrés. Qui saurait encore aujourd'hui transcrire ce que le vent nous dit dans les forêts?
Oui, il fut un temps où vous parliez, avec la terre, le ciel, avec ceux qui savaient vous entendre et surtout vous comprendre. Il fut aussi un temps où les premiers, bien avant les dieux qui plus tard s'empressèrent de vous imiter, vous avez enseigné au monde la résurrection, en reverdissant chaque printemps.
Asile des oiseaux, abri des hôtes animaux, orateurs des souffles, conciles de rumeurs, synodes de ramures, vous êtes un univers vivant où, de l'obscure nymphose des racines, naitront, s'élèveront donc tronc, sève et branches, naitra, s'agrandira, se déploiera la grande main des frondaisons, sa paume ouverte sur le ciel. Les racines sont votre moi, le tronc votre communauté et parenté arboricole, les frondaisons votre union avec l'immensité.
Non, vous n'êtes pas qu'en bois. Vous n'êtes pas de bois. Mais une image, une préfiguration de nous-mêmes, ébauches, esquisses, essai de forme, de substance: la sève n'est-elle pas comme un bouillon de sang?
Je ne vous ferai pas l'injure de rappeler que vous avez abrité nos tous premiers ancêtres. Je sais aussi que c'est en vous quittant, en quittant l'abri de vos branches pour affronter la nudité, l'immensité des steppes et des savanes herbeuses, que l'homme arboricole est devenu savanicole avant de devenir cavernicole. Que d'écoles pour devenir Homme! Mais vous, vous avez été notre première, irremplaçable école buissonnière, celle où l'on sait que le murmure d'un ruisseau, l'appel d'un oiseau (y compris celui de la chouette, l'extralucide de nos nuits) sont bien plus importants et bien plus nécessaires que le babil futile, stérile, si rarement fertile, des homini sapientes in portabilibus!
J'aurais tant de choses à vous dire. Mais il faudrait, pour les dire avec toute la précision et toute la poésie souhaitables, que je réapprenne à bruisser, comme chêne sous le vent, à greloter comme feuille de tremble, à frissonner comme cyprès sous la brise (avez-vous d'ailleurs remarqué qu"un cyprès qui frissonne ressemble exactement à un ange qu'on caresserait sous les plumes?). Au fond, c'est cela que je voulais dire: les arbres jadis furent nos parents. Ils sont aujourd'hui nous enfants. Nous dépendîmes d'eux. Aujourd'hui, ce sont eux qui dépendent de nous. Nous leur devons attention et assistance. Ils ne sont pas seulement nos enfants, notre avenir de verdure. Ils sont aussi les stables et fidèles compagnons de toute notre aventure terrestre. Les anges gardiens de notre oxygène. Les conquérants et détenteurs de sœur chlorophylle. Celle qui transforme le soleil en énergie. Ils sont aussi, je l'avais oublié, un oratoire, un offertoire de lumière.

Jacques Lacarrière
_________________
...simplement y être, et entiérement ...

[duc]

Merci
_________________
L'inconditionnel du parfait

[Nina Padilha]

Magnifique texte !
J'ai toujours considéré les arbres comme "les racines de la terre" et je les aime !
_________________
Chimboraï khumi !

[Lwood]

Et oui, l'arbres sont les piliers du temple où nous vivont.

[Kan Rit Ar Norbert]

_________________
L'AMOUR rétablit notre UNITE PRIMITIVE....
PLATON(le Banquet)
Je ne connais qu'un seul devoir, c'est celui d'aimer......
A. Camus
Ne prenez pas la vie au sérieux, vous n'en sortirez pas vivant...........

[Marie*]

_________________
*Rit Ur* - La Charte des Gentils
*********************
Croire en ce que l'on dit et le faire !(Philippe)

Alors sans avoir rien que la force d'aimer
Nous aurons dans nos mains,amis le monde entier (Brel)

[Hélène]

J'aime bien ta zapette Lwood, dis, c'est où que tu l'as trouvée?
J'ai des amis qui s'amusent bien avec cet objet, discretement, la zapette universelle, et poom, la télé du bar qui s'éteint, et le patron qui la rallume, et la télé qui s'éteint et ... mais une qui fait ça, je connaissais pas
_________________
...simplement y être, et entiérement ...

[Christine_]

hélène
tous les arbres sont nos amis je le sais, je les aime
ce que tu as ecrit là j'aime

[Hélène]

C'est super Aïtane

C'est Jacques Lacarrière qui a écrit cette ode, je connaissais pas cet auteur, mais ce texte donne envie d'aller plus avant à sa rencontre.
_________________
...simplement y être, et entiérement ...

[claire]

Merci Hélène pour le partage de ce texte
_________________
Appliquer sa parole
L'urgence du devoir est d'aimer

[keridwenna]

Emouvant. Merci