(...) Or mais Väinämöinen
n'est point né, le barde sans âge.
Le vieux Väinämöinen
va dans le ventre de sa mère
depuis tantôt trente estivages,
autant d'hiver qu'il s'en dérive
par les eaux calmes, la bonace,
sur les vagues coiffées de brume.
Lors il pense, le sage, il songe
pourquoi demeurer, comment vivre
dans sa cachette fourrée d'ombre,
dans son gîte voûté d'angoisse
où jamais il n'a vu la lune
ni perçu les grains de soleil.
Il parle de haute parole
ainsi chante les mots qui suivent :
"Lune et soleil, vite, à mon aide,
Grande Ourse, sois-moi bonne guide
que je passe la porte obscure,
loin de la barrière étrangère,
le petit nid de maigre couche,
ma demeure voûtée d'angoisse !
"Tire à terre l'homme de route,
l'enfant de l'homme, sous le ciel,
qu'il regarde la lune au ciel,
le soleil aux rayons de joie,
qu'il vienne apprendre la Grande Ourse
et reguigner vers les étoiles !"
Or la lune faillit à l'aide,
le soleil faut à délivrer ;
jour après jour il se languit,
vie d'ennui, longs jours de souffrance :
il hoche à hue l'huis du fortin
par le doigt menu, le sans nom,
il huche à dia le loquet d'os
par un orteil de son pied gauche ;
passe le seuil à grippe griffe,
à genouillons par l'huis du porche.
Lors il dévale vers la mer,
tête et bras roulant à la houle ;
bonhomme reste au creux des vagues,
parmi les roulis, le gaillard.
Cinq ans vaque, cinq ans dérive,
cinq années, six années tantôt,
puis l'an septième, et le huitième.
Il se dresse enfin sur l'eau grande,
vers le cap aux rives sans nom,
terre ferme, terre sans arbres.
Il se hisse, genoux à terre,
se cambre à la force des bras :
il est debout pour voir la lune,
pour s'ébahir au pied du jour,
il suit les voies de la Grande Ourse
et ses yeux boivent les étoiles.
Ainsi Väinämöinen
a vu le jour, le barde brave,
par le ventre de la porteuse,
Ilmatar la mère du monde.
(extrait du Kalesaka -chant I )