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Numéro 1040 Science & Vie ; Mai 2004
Transmuter l'hydrogène en hélium, le titane en aluminium, le plomb en or... Malgré le scepticisme officiel de la communauté scientifique, de très sérieuses expériences tentent aujourd'hui d'obtenir de véritables réactions nucléaires à... température ambiante! Un fantastique pari relevé 15 ans après les tentatives avortées de réaliser la "fusion froide". "L'alchimie nucléaire" est-elle la nouvelle science du futur? Enquête.
Dossier réalisé par Cécile Bonneau et Hervé Poirier
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1. CES TRANSMUTATIONS QUI DEFIENT LES LOIS
Susciter des réactions nucléaires... à température ambiante? De plus en plus d'expériences montrent aujourd'hui que le pari de la fusion froide n'est peut-être pas si fou. Explications.
Est-ce une prouesse d'alchimiste? Un fantasme de savant médiéval? Ou une promesse de physicien abusé? Un peu partout dans le monde, dnas des laboratoires italiens, français, américains, japonais ou russes, des chercheurs affirment transmuter la matière à température ambiante. Avec une pincée d'énegie, ils transforment allégrement la nature des éléments chimiques : l'hydrogène devient hélium, le titane mue en aluminium... et le plomb se change en or! Auraient-ils découvert la pierre philosophale, objet d'une fantastique quête ésotérique depuis des millénaires? Qu'on ne se méprenne pas : il n'y a rien d'occulte dans ces recherches. Et si la centaine de chimistes et physiciens qui travaillent sur ce domaine le font souvent en marge de leurs travaux officiels, ce n'est pas pour s'inscrire dans la grande tradition du secret des alchimistes des temps anciens, mais par nécessité : leurs études ne sont pas facilement publiées dans les revues internationnales "officielles", dotées d'un comité de physiciens indépendants aptes à en évaluer la solidité scientifique. Les plus prestigieux, Nature et Science, n'acceptent pas une ligne sur la question...
Ces revues ont en effet été échaudées par... la "fusion à froid", cette fameuse expérience qui, présentée en 1989 par Stanley Pons et Martin Fleischmann, a suscité une des plus grandes polémiques scientifiques de la fin du XXème siècle. Les deux physiciens américain et anglais affirmaient pouvoir transformer de l'hydrogène en hélium dans une éprouvette avec, en prime, un dégagement de chaleur propre à en faire une source d'énergie quasiment inépuisable... Après un engouement mémorable, cette première présentation publique de transmutation à basse énergie fut violemment rejetée par les physiciens. Et pour cause : la transmutation à basse température est une quasi-hérésie pour un physicien nucléaire!
Pour comprendre, il faut se pencher sur la nature des éléments chimiques, soigneusement recensés par le fameux tableau de Mendeleïev établi par le chimiste russe en 1869 et complété depuis. Chaque atome y est classé suivant le nombre de protons que contient son noyau, qui définit la nature de l'élément chimique (par exemple : 1 proton pour l'hydrogène, 2 pour l'hélium, 6 pour le carbone...), le nombre de neutrons définissant, lui, les différents isotopes (comme le deutérium, isotope de l'hydrogène, qui possède un neutron en plus du proton, voir "jargon". Ainsi, lorsqu'un noyau atomique gagne ou perd un ou plusieurs protons, il change de nature et voyage de case en case à travers le tableau des éléments de Mendeleïev. C'est ce que l'on appelle une transmutation.
1.1. Passer d'un monde à l'autre
Mais ces réactions nucléaires ne se font pas en réalité aussi simplement que sur le papier. Car si la charge électromagnétique du neutron est nulle, la charge du proton, elle, est positive ; deux protons ont donc toujours naturellement tendance à se repousser lorsqu'on les rapproche. Cependant, lorsqu'ils sont suffisament proches, ils ne se repoussent plus : l'attraction liée à la force nucléaire forte (une force fondamentale qui domine à l'échelle du noyau) prend alors le pas sur la répulsion électromagnétique en maintenant les protons fermement collés entre eux - ce qui assure au passage notre confortable cohésion matérielle... Toute la difficultée des transmutations consiste donc à franchir cette barrière énergétique (dite "barrière coulombienne") qui se dresse entre la répulsion électromagnétique et l'attraction nucléaire.
Cette barrière coulombienne forme autour du noyau atomique un véritable cratère dont les flancs escarpés marquent la frontière entre deux mondes. Le monde nucléaire d'une part, à l'intérieur du cratère, tout au fond du puits, où s'agite un magma de protons et de neutrons, et le monde électromagnétique d'autre part, à l'extérieur du cratère, royaume des molécules et des réactions chimiques. Et il faut énormément d'énergie pour passer d'un monde à l'autre, de même qu'il en faut énormément pour gravir les flancs d'un volcan...
Pour faire une fusion nucléaire, c'est-à-dire fondre deux noyaux en un seul, les physiciens utilisent par exemple des accélérateurs de particules, qui génèrent des chocs très violents entre des noyaux dans le vide ou, plus souvent, recourent à de très hautes températures, l'agitation des noyaux devenant si violente qu'ils aurrivent alors à se percuter. C'est ce qui se passe dans le soleil ou dans les réacteurs expérimentaux (comme le futur réacteur international Iter) chauffés à plusieurs centaines de millions de degrés. Pour ce qui est de la fission nucléaire, qui casse un noyau en plusieurs, on utilise rien de moins... qu'une centrale nucléaire : dans son coeur, des noyaux lourds (de l'uranium) sont bombardés de neutrons qui parviennent à briser le noyau. Dans tous les cas, telles des éruptions volcaniques, ces transmutations nécessitent une considérable débauche d'énergie. D'où le problème : comment des réactions chimiques du monde électromagnétique pourraient-elles être assez puissantes pour provoquer des réacions nucléaires? Comment croire qu'il soit possible de jongler avec les protons dans une simple éprouvette à température ambiante? Comment ne pas y voir les conséquences de biais expérimentaux passés inaperçus?
Et de fait, le chimiste allemand Friedrich Paneth, qui annonca en 1930 avoir transformé pour la première fois de l'hydrogène en hélium, dut-il se rétracter rapidement : la porosité des parois de ses tubes en Pyrex suffisait en réalité à expliquer ses résultats, l'hélium étant naturellement présent dans l'air... Réalisée en 1980, l'expérience de Pons et Fleischmann était plus aboutie. Son principe? Comprimer du deutérium (isotope de l'hydrogène) dans un morceau de métal poreux, le palladium, grâce à une électrolyse : à l'aide d'un courant électrique généré entre une cathode en palladium (chargée négativement) et une anode en titane (chargée positivement), ils obligent une solution contenant du deutérium à se décomposer. Le deutérium s'aglutine alors dans le palladium.
Et, selon Pons et Fleischmann, à partir d'une certaine concentration, comme s'ils se trouvaient trop serrés dans leur enceinte de palladium, les noyaux de deutérium fusionnent entre eux pour former de l'hélium 4 (deux protons et deux neutrons), tout en dégageant de la chaleur. Et même beaucoup de chaleur : davantage que d'énergie dépendée en électricité! Oui, mais cette expérience avait un défaut majeur : elle n'était pas systématiquement reproductible. Les équipes chargées de recommencer l'expérience n'obtinrent pas les résultats annoncés. De plus, aucune théorie ne pouvait expliquer comment les noyaux de deutérium franchissaient la barrière coulombienne au sein du palladium. Les tenants de l'orthodoxie nucléaire eurent donc beau jeu de la rejeter en bloc...
Quinze ans plus tard, la donne a changé. Des chercheurs, souvent issus des plus prestigieuses institutions, ont patiemment perfectionné leurs expériences de réactions nucléaires à basse température. Leur but? En produire un dispositif qui démontrerait sans biais possible l'existence de ces transmutations, qui ferait enfin entrer dans le champ scientifique cette disciplinesi controversée, et qui offrirait aux physiciens un contrôle de la matière et une maîtrise de l'énergie nucléaire inespérés...
1.2. La réussite italienne
C'est l'ambition d'Antonella De Ninno, qui travaille à l'Enea (Ente per le Nuove Technologie, l'Energia e l'Ambiante), le centre national de recherche nucléaire italien, installé à Frascati, à côté de Rome. "Nous nous sommes intéressés à la fusion froide dès 1989, par curiosité, juste après l'expérience de Pons et Fleischmann", raconte la physicienne italienne. Qui tente dans un premier temps de comprimer du gaz dans du titane pour provoquer la fusion... sans résultats probants. Il n'empêche : elle persuade l'Enea en 1998 de soutenir une expérience sur le palladium, qui s'est terminée fin 2002.
Son principe est d'utiliser une cathode en palladium dotée d'une géométrie bien particulière, quasi unidimensionnelle, c'est-à-dire réduite à un très fin fil. D'après les estimations théoriques du physicien Giuliano Preparata, de l'université de Milan, cette cathode, soumise à une tension électrique appropriée, permet au deutérium de s'y concentrer plus facilement. "Il nous a fallu deux années pour mettre au point un tel système particulièrement complexe, avoue Antonella de Ninno, mais depuis, nos résultats sont incontestables." L'équipe de chercheurs a en effet montré très soigneusement qu'à partir d'une certaine concentration de deutérium dans le palladium, on observe un excès de chaleur et une production d'hélium vingt fois supérieure au "bruit de fond" lié aux contaminations extérieures...
Et pourtant, malgré la précision de ces résultats, les revues scientifiques solicitées ont encore une fois refusé toute publication. "On met aujourd'hui en doute la qualité de mes mesures de chaleur, alors que mes précédentes études avaient été refusées faute de mesure de l'hélium 4, se décourage la chercheuse, qui s'oriente désormais vers des sujets plus conventionnels. J'ai l'impression d'avoir fait tout ce que j'ai pu, sans être écoutée..."
Au conservatoire national des arts et métiers (Cnam), à Paris, Jacques Dufour tente lui aussi de mettre au point l'indubitable expérience. Ancien directeur des relations scientifiques de la compagnie pétrolière anglo-hollandaise Shell (qui a participé au financement de ses recherches), cet ingérieur a été accueilli dans le laboratoire des sciences nucléaires du Cnam pour se consacrer à des décharges électriques dans une tige de palladium baignant dans un gaz d'hydrogène. Et lui aussi obtient des excès de chaleur et des transmutations : il observe de l'hélium, mais aussi des éléments probablement issus de la fission du palladium, comme le fer ou le nickel. Mais la détection de ces éléments restant délicate et facilement sujette à caution, Jacques Dufour veut encore améliorer ses mesures calorimétriques. Pour mettre à jour un phénomène dont l'ampleur suffirait enfin à balayer les scepticismes. "Je suis intimement convaincu qu'il y a quelque chose, mais je comprends que ce soit difficile à accepter que ce soit trop tôt, tempère-t-il. J'espère obtenir dans les deux ans la preuve irréfutable qui convaincra tous!"
1.3. Des transmutations en série
Ces deux exemples ne sont pas isolés : un peu partout dans le monde se multiplient de telles expériences dont les paramètres sont de mieux en mieux contrôlés. Le professeur Violante, qui travaille à quelques pas du laboratoire d'Antonella de Ninno, à l'Enea, a par exemple étudié les problèmes de reproductibilité de l'expérience de Pons et Fleischmann. "Nous avons compris que la nature métallurgique du palladium modifie sa capacité d'absorption, explique-t-il. Nos premières manipulations avaient bien fonctionné, mais quand nous avons dû racheter du palladium pour continuer, plus rien ne se passait... Nous avons donc étudié la diffusion du deutérium dans le métal." Le physicien a également réalisé l'électrolyse d'un film de nickel contenant des traces de cuivre... pour constater que le rapport isotopique du cuivre s'en trouve modifié. Selon ses mesures, le cuivre 63 (qui contient 29 protons et 34 neutrons), se transforme en partie, lors du processus en cuivre 65 (qui contient 36 neutrons), et la transformation est quasi totale quand on l'accompagne d'une excitation laser... Des expériences sur le palladium sont aussi réalisées par Yoshiaki Arrata, à l'université d'Osaka, au Japon, ou par une équipe de la Royal Navy, basée à San Diego, aux Etats-Unis.
En Russie, Leonid Ouroutskoïev, de l'institut Kourtchatov à Moscou fait, lui, exploser des feuilles de titane dans l'eau à l'aide d'un fort courant électrique, pour constater l'apparition d'aluminium, de silicium, de calcium, de fer, de sodium... et d'un rayonnement étrange qui apparaît au-dessus du récipient. Délirant? L'institut de recherches nucléaires de Doubna a pourtant bel et bien confirmé ces étranges résultats. Encore plus fascinant : le même institut Kourtchatov aurait tout simplement réussi à transmuter du plomb en or...
1.4. Mais qui a dit alchimie?
Bien que mythique, cette dernière prouesse n'a pas été approfondie ni publiée. D'abord parce qu'elle est sans intérêt économique, le coût de cette transmutation se révélant en définitive bien supérieur au prix du précieux métal. Et surtout pour ne pas décrédibiliser des recherches en provoquant la confusion avec les travaux sulfureux d'un Nicolas Flamel ou d'un Joseph Balsamo tout à coup ressuscités... Ces chercheurs font d'ailleurs preuve d'une grande inventivité lexicale pour décrire leurs travaux : le terme d'"alcimie" étant clairement proscrit et celui de "fusion froide" par trop suspect depuis Pons et Fleischmann, ils parlent plus volontiers de CMNS (science nucléaire de la matière condensée), de LENR (réactions nucléaires à basse énergie), ou encore de CANR (réactions nuclaires chimiquement assistées).
Une lente quête de respectabilité qui commence à payer. Même si la majeure partie de la communauté scientifique continue de penser que ces physiciens prennent des vessies pour des lanternes et voient des réactions nucléaires à basse énergie là où il n'y a que des phénomènes classiques explicables par quelques biais expérimental caché, des publications scientifiques sérieuses comme Physical Review Letters, Fusion Technology ou Japanese Journal of Applied Physics Letters acceptent aujourd'hui de publier quelques résultats. En introduction à un rapport publié en 2002 par l'US Navy qui faisait le point sur leur dix années de recherches, Franck Gordon, responsable du département navigation et science appliquées, écrivait même : "Nous savons que le phénomène de fusion froide existe, à travers des observations répétées de scientifiques du monde entier. Il est temps que ce phénomène soit étudié pour que nous puissions retirer quelque bénéfice que ce soit de cette nouvelle donnée scientifique." Encore plus marquant : le 20 mars dernier, l'hebdomadaire britannique New Scientist révélait qu'un rapport sur la fusion froide venait d'être commandé par le département de l'Energie (DOE) des Etats-Unis. Cet inventaire des recherches menées ces quinzes dernières années pourrait être bouclé en janvier 2005, et déboucher sur des crédits... En France, en revanche, le sujet reste tabou. Le Commissariat à l'énergie atomique (CEA), qui serait le plus à même de travailler sur la fusion froide, y est allergique. "C'est contraire aux lois physiques", affirment en coeur les spécialistes de la fusion thermonucléaire.
1.5. Des réticences... officielles
Sauf que, d'après nos informations, quelques experts du Haut-Commissariat à l'énergie s'intéresseent tout de même de très près aux expériences en cours à l'étranger. Le discours officiel n'en reste pas moins écrasant : "personne ne conduit de telles recherches et personne n'a d'avis à exprimer sur le domaine." Même silence chez EDF : comme s'il s'agissait d'une question politique brûlante, on nous répond "nous souhaitons garder silence sur cette question"... alors qu'un expert est envoyé à toutes les conférences!
Jean-Paul Bibérian, professeur de physique à l'université de Marseille, qui, depuis de nombreuses années, fabrique toutes sortes d'expériences avec enthousiasme, organisera, en novembre, à Marseille, la prochaine conférence internationnale sur la fusion froide où se rencontreront pour exposer leurs derniers travaux une centaine de chercheurs : Américains, Italiens, Japonais, Russes, Chinois,... et quelques Français. L'occasio, pour la communauté scientifique d'évaluer objectivement le domaine? Il serait temps! Car si le phénomène existe bel et bien, ses implications seraient énormes. Et y a-t-il plus beau défi que de saisir un phénomène qui se joue de la nature des éléments chimiques, qui permet de pénétrer dnas le volcan nucléaire avec de simples éprouvettes et qui réalise à peu de frais le fantasme ancestral de milliers de savants?
3. VERS UN DEBUT D'EXPLICATION THEORIQUE?
Si, pour la plupart des physiciens, les transmutations relèvent du "miracle", plusieurs hypothèses rivalisent pourtant aujourd'hui pour les expliquer scientifiquement. Une étape cruciale.
Concocter en laboratoire des transmutations nucléaires à basses énergie? Si le pari semble tenter de plus en plus de scientifiques malgré l'affreuse réputation qui s'attache à ce genre de recherches, une chose est sûre : les "nouveaux alchimistes" vont bien devoir expliquer un jour par quelle "magie" ces réactions se produisent. Même si leur résultats sont de plus en plus probants, il leur faudra, par exemple, détailler comment de l'hydrogène inséré dans un cristal de palladium peut se transformer en hélium à température ambiante. Une question cruciale pour donner une légitimité scientifique à des phénomènes qui laissent encore largement perplexes. Mais est-il seulement possible d'intégrer dans le corpus théorique ce que la plupart des physiciens, sceptiques, ne se privent pas d'appeler des "miracles"?
Trois miracles, même, si l'on reprend l'expérience de fusion froide "à la Pons et Fleischmann" du deutérium, un élément apparenté à l'hydrogène dont le noyau comprend un proton et un neutron. Le premier miracle? Les deux noyaux qui fusionnent passent allégrement la terrible "barrière coulombienne" qui devrait normalement les repousser loin l'un de l'autre, les deux étant de charge positive. Deuxième miracle : cette fusion produit toujours un noyau unique d'hélium 4, constitué de deux protons et deux neutrons, alors qu'à haute énergie, elle laisse presque toujours un proton ou un neutron libre. Troisième miracle : quand de l'hélium 4 est produit malgré tout en fusion chaude (une fois sur cent mille), il s'accompagne de rayons gamma d'une énergie bien déterminée (23,8mégaélectronvolts), que l'on ne détecte pas en fusion froide. En leur temps, Pons etFleischmann ne purent expliquer ces mystères.
3.1. La supraconductivité à basse température en exemple
On leur a même reproché de ne pas être morts pendant leur expérience d'un bombardement de neutrons, ce qui aurait, pour le coup, convaincu les physiciens de l'existence de réactions nucléaires... La plupart de ces derniers considèrent donc que les transmutations ne sont que des illusions, dues à des erreurs expérimentales. Mais pourquoi ne pas imaginer qu'un phénomène physique encore inconnu émerge au sein du cristal de palladium, démystifie les trois miracles et autorise vraiment la fusion froide? Car si fusion il y a, il est logique de penser qu'elle est fort différente de celles qui se passent à l'intérieur des réacteurs nucléaires dans lesquels un plasma est chauffé à plusieurs centaines de millions de degrés. Et ce, d'autant plus que le comportement collectif de ces protons et neutrons au sein du cristal de palladium reste encore aujourd'hui largement mystérieux...
Certes, grâce à la mécanique quantique, les physiciens ont de très bons modèles de l'atome, de l'interaction électromagnétique entre ses électrons et son noyau, des forces nucléaires qui agitent protons et neutrons à l'intérieur du noyau et même des règles qui régissent les quarks, constituants élémentaires de ces protons et neutrons. Mais ils ont plus de mla à modéliser les échelles supérieures, en particulier lorsque des milliards d'atomes s'organisent en réseau cristallin pour former des solides. N'y a-t-il donc pas la place dans cette physique de la "matière condensée" encore mal maîtrisée poru un phénomène encore inexpliqué sur lequel reposerait la fusion froide? Il suffit pourtant de se rappeler la difficulté des physiciens pour interpréter la perte brutale et complète de résistance électrique dans certains matériaux ultra-froids observée expérimentalement dès 1911. S'ils durent attendre 1950 pour expliquer cette "supraconductivité à basse température" à partir des équations quatiques et comprendre comment ce phénomène collectif émerge dans certains solides, ils cherchent encore l'interprétation théorique de la "supraconductivité à heute température" mise en évidence en 1986...
En tous les cas, ce ne sont pas les idées qui manquent pour justifier la fusion froide. Même si aucune ne s'est, pour l'instant, imposée, de nombreuses pistes ont été explorées. Une des plus réputées est celle de Giuliano Preparata, un physicien italien de l'université de Milan, qui a travaillé sur la question jusqu'à sa mort en 2000, avec Antonella De Ninno de L'Enea. Selon cette thèse, que soutient aujourd'hui aussi Martin Fleischmann, il faut en passer par le très complexe théorie quantique des champs, qui conçoit les interactions elles-mêmes en termes de particules. Sous certaines conditions (en présence d'un champ électromagnétique notamment), les équations quantiques qui régissent les atomes de palladium du cristal pourraient en effet laisser émerger un étrange comportement : tous les électrons des atomes de ce cristal pourraient se mettre à vibrer à l'unisson, jusqu'à ne plus former qu'une seule et même onde de matière. Les noyaux de deutérium qui s'accumulent dans les interstices du cristal ne se comporteraient alors plus comme des individus isolés, mais vibreraient eux aussi en cohérence pour ne former à leur tour qu'une seule onde. Une théorie qui doit encore être développée pour englober les transmutations des autres éléments chimiques, plus complexes, mais qui semble d'ores et déjà capable d'expliquer les trois miracles. De fait, le bain d'électrons négatifs pourraient ici suffisamment diminuer la répulsion entre les noyaux (et donc la hauteur de la barrière coulombienne du premier miracle) pour autoriser la fusion.
3.2. Une bien étrange particule...
De plus, le processus se passant plus lentement que dans le plasma, les noyaux de deutérium auraient le temps de mettre en commun tous leurs protons et neutrons au lieu de se scinder violemment. D'où la production "miraculeuse" d'hélium 4. Enfin, dans ces milieux condensés, l'énergie de la fusion serait dépensée dans la matière sous forme de vibration du cristal (et donc de chaleur) plutôt que par l'émission de rayons gamma...
Cependant, si certains proposent des versions proches de celle de Preparata, liée à des phénomènes de cohérence, comme Peter Hagelstein, physicien au Massachussetts Institute of Technology (MIT), d'autres s'en écartent complètement. Une piste très différente propose, par exemple, que les électrons restent attachés à leur noyaux lors du processus de fusion, et y participent même activement, comme ce que l'on observe en "fusion muonique". C'est l'idée de Jacques Dufour et Jacques Foos, du Cnam. Selon eux, à l'intérieur d'un solide et en présence d'un champ électromagnétique intense, l'électron, qui est normalement en orbite à 0,05 nanomètre autour du noyau d'hydrogène, se rapproche considérablement de celui-ci, formant ce qu'ils appellent un "hydrex", un atome d'hydrogène "rétréci". Pour une particule un peu lointaine, cette promiscuité entre le noyau positif et l'électron négatif fait ressembler l'hydrex à un neutron, ce qui diminuerait largement la barrière coulombienne... Sans spéculer sur ce qui se passe précisément à petite échelle, les chercheurs du Cnam pensent que la présence de ces hydrex au sein du cristal déclenche les réactions nucléaires et résout les trois miracles.
Dans un tout autre registre, le physicien français George Lochak, ancien collaborateur du prix Nobel Louis de Broglie, croi, lui, en sa théorie des "monopôles magnétiques légers", une théorie née au début des années 80 à partir de l'étude de l'équation de Dirac, l'équation quantique de base pour décrire l'électron.
3.3. Observations confirmées
Selon Georges Lochak, cette équation laisse en effet entrevoir l'existence d'une nouvelle particule, qui serait au magnétisme ce qu'est l'électron pour l'électricité, une étrange particule magnétique à un seul pôlen un pôle nord unique ou un pôle sud unique. "Un monopôle magnétique qui pénètre dnas un noyau pourrait le déséquilibrer et le faire transmuter", avance-t-il...
Si cette idée n'a guère trouvé d'écho en France, elle intéresse en revanche fortement le physicien Leonid Ouroutskoïev, qui travaille sur les transmutations à basse énergie à l'institut Kourtchatov de Moscou. En faisant exploser des feuilles de titane dans l'eau pour les transmuter, il a décelé des traces étranges sur les émulsions photographiques qui pourraient correspondre à ces fameux monopôles! Des observations qui semblent confirmées lors de toutes récentes expériences réalisées à l'université de Kazan, en Russie, au début du mois de mars dernier...
Reste que de nombreuses autres interprétations existent, si diverses qu'il est impossible de les recenser de façon exhaustive. Bien sûr, la plupart se révéleront inévitablement stériles. Mais cette disparité de théories n'est-elles pas l'indice d'une science en genèse? Au bout du compte, l'expérience tranchera.
4. LA POULE AUX OEUFS D'OR?
Dans la nature, certains phénomènes inexpliqués pourraient en fait impliquer des réactions nucléaires à basse énergie. Une hypothèse qui ouvre de belles perspectives... à condition d'être vérifiée!
Et pourtant elles pondent! C'était le constat étonné d'un tout jeune observateur, jouant les Galilée de bassecour au début du XXième siècle : malgré l'absence de calcaire dans le sol granitique de sa ferme bretonne natale, les poules que nourrisait sa mère pondaient des oeufs dotés de coquilles normales, constituées à partir de calcium. Tourmenté par cette épineuse question dès son plus jeune âge, Louis Kervran devient biologiste et fit un tabac dans les années 60 avec ses livres sur les transmutations biologiques. Selon lui, la poule bretonne serait en réalité un... véritable réacteur nuclaire! Expériences à l'appuis, Louis Kervran prétend en effet que, une fois enfermés dans un poulailler au sol battu d'argile et privés de calcium pendant quelques jours, ces gallinacés pondent des oeufs à coquille molle... jusqu'à ce quo'n leur donne du mica à picorer. Ces petites paillette brillantes de silicate que l'on trouve dans le sable sont composées principalement de silicium. Or, les poules se jettent dessus ("avec une volupté certaine", précise-t-il) et se remettent à pondre des oeufs normaux dès le lendemain. Preuve, selon lui, que les volailles arrivent à transmuter le silicium en calcium.
Kervran est aujourd'hui cité en exemple par des chercheurs convaincus que les réactions nucléaires à basse énergie sont à même d'expliquer certains mystères de la nature : "Si, comme on le voit en fusion froide, des phénomènes nucléaires peuvent survenir à basse énergie, pourquoi des transmutations ne se produiraient-elles pas au seins des organismes vivants?", s'interrogent-ils.
Reste que, dans le cas de la poule, les spécialistes modernes de la question sont pour le moins sceptiques. Voire franchement amusés. Car son métabolisme calcique ne fait aujourd'hui plus guère de mystère. Il a donné lieu à de nombreuses études, étant donné l'intérêt économique certains à bien maîtriser la solidité de la coque des quelque 850 milliards d'oeufs produits chaque années.
4.1. Exit les déchets radioactifs?
En fait, la volaille stocke pendant la journée de calcium issu de son alimentation dans ses os, pour puiser ensuite dans cette réserve transitoire pendant la nuit et fabriquer la coquille. Des stocks suffisants pour pallier des carences de plusieurs jours, voire de plusieurs semaines... Bref, la poule a beau produire chaque année l'équivalent de son propre poids en coquilles, il n'y aurait là aucune "alchimie nucléaire" N'en déplaise aux aficionadas de Louis Kervran...
Mais, selon Jean-Paul Bibérian, maître de conférences à l'université de Marseille, il existe aujourd'hui des expériences de transmutations à l'intérieur du vivant beaucoups plus probantes. Le physicien a ainsi cultivé des bactéries marines et soutient que celles-ci produisent jusqu'à 18 nouveaux éléments (chrome, fer, cobalt, nickel, cuivre, zinc, argent, plomb, etc.) aux dépens du potassium, du calcium, du magnésium, du sodium et du soufre présents dans leur milieu de culture d'origine... Il a par ailleurs observé, au cours d'autres expériences que la teneur en mercure du blé décroît de moitié pendant sa germination. Et ce n'est rien à côté de celle de l'avoine qui diminue d'un facteur 20!
Pour Vladimir Vysotskii, physicien à l'université de Kiev, en Ukraine, la transmutation naturelle est même une piste technologique sérieuse pour la décontamination nucléaire : il prétend avoir démontré la possibilité d'utiliser les transmutations dans les cultures micobiologiques pour éliminer les déchets hautement radioactifs! Le problème, c'est qu'il est difficile de se faire une idée objective sur la validité de ces expériences. Et cela le restera tant que le sujet ne sera pas sérieusement étudié par la communauté scientifique. Cette alcimie naturelle permettrait pourtant d'expliquer nombre de mystères, plus profonds que celui de l'oeuf de la poule. L'existence de transmutations dans l'atmosphère justifierait, par exemple, la distribution anormale des isotopes de l'oxygène 'atomes d'oxygène comportant un nombre différent de neutrons dans leurs noyaux) observée dans la couche d'ozone. Cela éclairerait aussi certaines données de cosmochimie encore obscures, comme les différences entre les compositions isotopiques relevées sur des météorites et celles relevées sur Terre : ces morceaux de matières venus de l'espace produisent des données qui ne correspondent pas aux connaissances actuelles sur la nucléosynthèse, la science de la formation des noyaux atomiques dans l'Univers. Les physiciens parlent même à ce propos de FUN pour Fractionation and unknown nuclear effects. Ces "effets nucléires inconnus" ne correspondraient-ils pas à ces fameuses réactions nucléaires à basse énergie? Autre exemple de question sans réponse : la datation au carbone 14, qui utilise la composition isotopique du carbone, donne lieu à des polémiques, comme lors de l'évaluation de l'âge des peintures rupestres de la grotte Chauvet. Encore un coup de transmutations naturelles qui perturberaient le nombre d'atomes de carbone 14?
La majorité des physiciens - même à l'intérieur de la petite communauté pratiquant les réactions nucléaires à basse énergie -, ne croient pas en ces recherches. "Les transmutations à basse énergie nécessitent des conditions très particulières, qu'on ne trouve pas spontanément dans la nature, souligne Jacques Foos, physicien au Conservatoire national des arts et métiers. Notamment des champs électromagnétiques suffisamment puissants." Mais, vu son pouvoir explicatif, le sujet ne mérite-t-il pas d'être étudier plus profondément? D'autant que tous les spécialistes de la fusion froide tombent d'accord sur une chose : la possibilité d'enfaire une source d'énergie.
A l'heure où de nombreux pays s'allient pour construire le plus gros réacteur expérimental à fusion chaude, baptisé Iter, énorme machine dont la construction, évaluée à près de 5 milliards d'euros, devrait durer dix ans, les spécialistes de la fusion froide entendent faire valoir leur droit à étudier ce phénomène au grand jour. Des brevets sont régulièrement déposés par des laboratoires de recherche ou par des physiciens indépendants en quête de l'invention qui pourrait révolutionner la politique énergétique mondiale! Car la possibilité de récupérer sous forme de chaleur l'énorme énergie nucléaire qui assure la cohésion des noyaux, à peu de frais et sans déchets polluants, serait sans conteste la véritable poule aux oeufs d'or...
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