Eric Julien Chez Albin Michel
Au
début, il y avait la Mère. Tout était
obscur. Il n 'y avait pas de soleil, pas de lune. La mer était
partout. La mer était la mer, puis est venu le monde...
Le monde a la forme d'un œuf, un œuf très
grand, posé avec la pointe vers le haut. Dans cet œuf
sont les neuf terres.
Ce sont de grandes plates-formes arrondies, les unes posées
au-dessus des autres. Nous, nous vivons sur la terre du milieu,
nous l'appelons Senenùmayang.
Au-dessus de ce monde, jusqu 'en haut, il y a quatre mondes,
Bunkuàneyumang, Alunayumang, Elnauyang et Kokto-mayang.
Ces terres sont bonnes, elles s'appellent Nyui-nulang, les
terres du soleil.
En dessous, il y a quatre autres mondes, Kaxtashinmayang,
Kaxyùnomang, Munkuànyu-mang et Séyunmang.
Ces terres sont sombres, difficiles, elles s'appellent Séi-nulang.
L'univers, ce grand œuf, est très lourd. Il est
soutenu et porté sur deux larges poutres, et quatre
hommes le soutiennent, deux à l'Ouest et deux à l'Est.
Sous le monde,
il y a de l'eau. Sur l'eau, il y a une grande pierre,
plane et particulièrement belle. Sur cette
terre, la mère est assise. Elle donne de l'eau et à manger
aux quatre hommes qui soutiennent le monde, pour qu 'ils
ne se fatiguent pas. Quand l'un des quatre hommes change
la poutre d'épaule, alors, la terre tremble.
C'est pour cela qu 'il n 'est pas bon de s'agiter, de lancer
des pierres, de faire des éboulements dans la montagne
ou de crier. Si l'on fait cela, le monde va trembler, et
il risque de tomber des épaules des quatre hommes
qui le soutiennent.
Chacun des neuf mondes a sa mère, son soleil et sa
lune et en chacun de ces mondes vivent des gens. Dans les
terres les plus hautes vivent les géants. Dans les
plus basses vivent des nains. Ils s'appellent Noanayomang.
Dans les temps très anciens, les gens de notre terre
allaient visiter les terres d'en haut, des terres où l'on
ne vieillissait pas. Aujourd'hui, ce n'est plus possible.
Notre terre est la neuvième fille de la mère,
la terre noire. Avant, il n 'y avait que des Indiens qui
vivaient ici, que des frères entre des frères.
Puis, sont arrivés les Blancs. Ils ont poursuivi les
Indiens avec leurs maladies, leur méchanceté.
Ils sont venus d'une autre terre, d'une terre d'en bas. C'est
pour cela que ce sont des gens mauvais.
Un jour, les quatre hommes qui soutiennent la terre vont être
fatigués. Ils n 'auront plus de force pour soutenir
le monde. L'un d'entre eux va laisser tomber une poutre,
puis un autre, l'univers va alors se renverser et tomber
dans l'eau.
Seule la mère restera, mais tous les gens vont mourir.
Quand cela va arriver, alors, le monde va s'arrêter.
Puis, les pères et les mères viendront de nouveau.
Premier monde
Le premier monde, c 'est la mère, l'eau et la nuit,
il n'y a rien que l'esprit (Aluna) et le possible des choses. « Tout
est esprit et pensée. » La mère s'appelait
Se-ne-nulàng. Il y avait aussi un père qui
s'appelait Katakéne-ne-nulang. Ils avaient un enfant
qui s'appelait Bùnkua-sé. Mais ce n 'était
pas des gens, rien. Ils étaient Aluna, l'esprit.
Au début, il n'y a rien, rien et tout à la
fois. Les éléments, le ciel, l'air, les montagnes
puissantes et magnifiques. Et l'envie, l'envie première,
profonde de marcher, d'aller ailleurs, devant, plus loin.
L'être est là, mais il n 'est pas. Il est sans
conscience. Peut-être pourra-t-il devenir. Peut-être...
Cela dépend de lui. Mais le chemin est long, si long
et si court à la fois. Il y a ces labyrinthes, ces
textes obscurs, il y a la liberté et les prisons,
il y a tout, il n'y a rien comme au début... c'est
le possible inexistant..
Deuxième
monde
Le
deuxième monde, c 'est l'énergie. « II
existait un père, c'était un tigre, pas un
tigre comme un animal, mais l'esprit du tigre, son énergie,
sa force vitale, un tigre en "Aluna". Il y a
une énergie, qui est là, puissante et déroutante,
complice ou ennemi. Elle montre, entraîne, questionne,
elle blesse parfois sur un chemin chaotique dont le sens... » C'est
ce qui rendra le possible existant, Dieu ? L’énergie
? la vie
Troisième monde
Alors, s'est formé le troisième monde, c'est
la naissance, le passage de l'ombre à la lumière. « Les
gens sont arrivés, mais ils n 'avaient pas d'os, pas
de force. Ils étaient comme des vers, des lombrics
sortis de la terre, la mère. C'est la naissance, c
'est l'incarnation des possibles, failles et fissures, coups
et blessures.
Quatrième
monde
Avec le quatrième monde sont venus les premiers qui
savaient comment allaient être les gens. « Ils
avaient un corps, une peau, des bras, une tête... » C
'est la découverte de ce qui est perceptible, de l'apparence
des choses. C'est la découverte du monde, de sa chair
et de sa réalité visible. La mère s'appelait
Sâyagaueye-yumang, il avait une autre mère qui
s'appelait Disi-se-yun-tanà.
Cinquième
monde
Avec le cinquième monde, sont venues la parole,
la pensée. Dans ce monde, la mère était
Enkuàne-ne-nulang. Alors, il n'y avait pas de maisons,
mais là, c 'est formée la première maison,
pas avec du bois, des lianes et des palmes, une maison en « Alu-na »,
dans l'esprit, pas plus. « II y avait des gens, mais
ils n'avaient pas d'oreilles, pas de bouche, pas d'yeux,
ils n'avaient que des pieds, alors la mère leur a
demandé de parler. C'est la première fois que
des gens ont parlé. Mais comme ils n 'avaient pas
de langage ils ont juste dit, nuit, nuit, nuit. » C'est
la confrontation, la rencontre, la création du lien
qui rattache, qui relie ou qui repousse. C'est la pensée...
Il y a cinq mondes.
Sixième
monde
Alors, le sixième monde s'est formé, s'est
mis en place. Sa mère était Bunkuàne-ne-nulang,
son père était Sai-Chakà. Ils formaient
un corps, un corps entier avec des bras, des pieds, une tête.
Alors, les maîtres du monde ont commencé à naître.
Au début, ils étaient deux : le Bùnkua-sé bleu
et le Bùnkua-sé noir, et dans chacun il y avait
neuf Bùnkua-sé. Ceux du côté gauche étaient
tout bleus et ceux du côté droit étaient
tout noirs.
Le corps est entier, deux esprits vont pouvoir naître,
le monde va se diviser en deux parties. La recomposition...
Avec le sixième monde vient le temps des extrêmes,
explorations obscures des profondeurs de l'âme.
Septième
monde
Alors, s'est formé le septième monde et sa
mère était Ahùnyikà. Alors, le
corps n 'avait pas de sang, mais maintenant il commence à avoir
du sang. Beaucoup de vers sont nés sans os et sans
force. Tout ce qui doit vivre dans le monde est vivant, le
corps est entier. C'est la recomposition, la recherche de
l'axe de vie. Maintenant il y a sept mondes.
Huitième monde
Alors va se former le huitième monde, et sa mère
s'appelait Kenyajé. Son père était
Ahuinakatana. Alors sont nés les pères
et les maîtres
du monde. Il y avait trente-six pères et maîtres
du monde, il y avait quatre fois neuf pères et
maîtres
du monde. C'était les premiers. Mais quand ce
monde s'est formé, ce qui devait aller vivre loin
n 'était
pas complet, pas terminé. Presque, mais pas tout à fait.
Il n'y avait pas encore d'eau partout. Le jour, la lumière
n'étaient pas encore là. Mais les esprits
sont là, tous. C 'est « Yuluka »,
le temps de l'harmonie.
Neuvième
monde
Être et dire... Alors, s'est formé le neuvième monde. Il
y avait neuf Bùnkua-sé blancs. Alors, les pères du monde
ont rencontré un grand arbre, et dans le ciel, sur la mère, sur
l'eau, ils ont fait une grande maison. Ils l'ont faite en bois avec des palmes
et des lianes, bien faite, grande et puissante comme une grande Kankurua. Cette
maison, ils l'ont appelée Alnàua [Aluna]. Mais, il n 'y avait pas
encore de terre. Le jour n 'était pas encore levé. Ainsi, les choses
furent faites, ainsi est né Sintana. C 'est la mort (l'ouverture au cosmos)
de l'être et sa renaissance au monde. Ça pourrait être l'unicité,
le dépassement dans un tout infini.