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Février 2005

 

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Le chemin des Neuf Mondes

Mythologie Kogis


Eric Julien Chez Albin Michel

Au début, il y avait la Mère. Tout était obscur. Il n 'y avait pas de soleil, pas de lune. La mer était partout. La mer était la mer, puis est venu le monde...
Le monde a la forme d'un œuf, un œuf très grand, posé avec la pointe vers le haut. Dans cet œuf sont les neuf terres.
Ce sont de grandes plates-formes arrondies, les unes posées au-dessus des autres. Nous, nous vivons sur la terre du milieu, nous l'appelons Senenùmayang.
Au-dessus de ce monde, jusqu 'en haut, il y a quatre mondes, Bunkuàneyumang, Alunayumang, Elnauyang et Kokto-mayang. Ces terres sont bonnes, elles s'appellent Nyui-nulang, les terres du soleil.
En dessous, il y a quatre autres mondes, Kaxtashinmayang, Kaxyùnomang, Munkuànyu-mang et Séyunmang. Ces terres sont sombres, difficiles, elles s'appellent Séi-nulang.
L'univers, ce grand œuf, est très lourd. Il est soutenu et porté sur deux larges poutres, et quatre hommes le soutiennent, deux à l'Ouest et deux à l'Est.


Sous le monde, il y a de l'eau. Sur l'eau, il y a une grande pierre, plane et particulièrement belle. Sur cette terre, la mère est assise. Elle donne de l'eau et à manger aux quatre hommes qui soutiennent le monde, pour qu 'ils ne se fatiguent pas. Quand l'un des quatre hommes change la poutre d'épaule, alors, la terre tremble.
C'est pour cela qu 'il n 'est pas bon de s'agiter, de lancer des pierres, de faire des éboulements dans la montagne ou de crier. Si l'on fait cela, le monde va trembler, et il risque de tomber des épaules des quatre hommes qui le soutiennent.
Chacun des neuf mondes a sa mère, son soleil et sa lune et en chacun de ces mondes vivent des gens. Dans les terres les plus hautes vivent les géants. Dans les plus basses vivent des nains. Ils s'appellent Noanayomang.
Dans les temps très anciens, les gens de notre terre allaient visiter les terres d'en haut, des terres où l'on ne vieillissait pas. Aujourd'hui, ce n'est plus possible. Notre terre est la neuvième fille de la mère, la terre noire. Avant, il n 'y avait que des Indiens qui vivaient ici, que des frères entre des frères.
Puis, sont arrivés les Blancs. Ils ont poursuivi les Indiens avec leurs maladies, leur méchanceté. Ils sont venus d'une autre terre, d'une terre d'en bas. C'est pour cela que ce sont des gens mauvais.
Un jour, les quatre hommes qui soutiennent la terre vont être fatigués. Ils n 'auront plus de force pour soutenir le monde. L'un d'entre eux va laisser tomber une poutre, puis un autre, l'univers va alors se renverser et tomber dans l'eau.
Seule la mère restera, mais tous les gens vont mourir. Quand cela va arriver, alors, le monde va s'arrêter. Puis, les pères et les mères viendront de nouveau.


Premier monde
Le premier monde, c 'est la mère, l'eau et la nuit, il n'y a rien que l'esprit (Aluna) et le possible des choses. « Tout est esprit et pensée. » La mère s'appelait Se-ne-nulàng. Il y avait aussi un père qui s'appelait Katakéne-ne-nulang. Ils avaient un enfant qui s'appelait Bùnkua-sé. Mais ce n 'était pas des gens, rien. Ils étaient Aluna, l'esprit.
Au début, il n'y a rien, rien et tout à la fois. Les éléments, le ciel, l'air, les montagnes puissantes et magnifiques. Et l'envie, l'envie première, profonde de marcher, d'aller ailleurs, devant, plus loin. L'être est là, mais il n 'est pas. Il est sans conscience. Peut-être pourra-t-il devenir. Peut-être... Cela dépend de lui. Mais le chemin est long, si long et si court à la fois. Il y a ces labyrinthes, ces textes obscurs, il y a la liberté et les prisons, il y a tout, il n'y a rien comme au début... c'est le possible inexistant..

Deuxième monde
Le deuxième monde, c 'est l'énergie. « II existait un père, c'était un tigre, pas un tigre comme un animal, mais l'esprit du tigre, son énergie, sa force vitale, un tigre en "Aluna". Il y a une énergie, qui est là, puissante et déroutante, complice ou ennemi. Elle montre, entraîne, questionne, elle blesse parfois sur un chemin chaotique dont le sens... » C'est ce qui rendra le possible existant, Dieu ? L’énergie ? la vie

Troisième monde
Alors, s'est formé le troisième monde, c'est la naissance, le passage de l'ombre à la lumière. « Les gens sont arrivés, mais ils n 'avaient pas d'os, pas de force. Ils étaient comme des vers, des lombrics sortis de la terre, la mère. C'est la naissance, c 'est l'incarnation des possibles, failles et fissures, coups et blessures.

Quatrième monde
Avec le quatrième monde sont venus les premiers qui savaient comment allaient être les gens. « Ils avaient un corps, une peau, des bras, une tête... » C 'est la découverte de ce qui est perceptible, de l'apparence des choses. C'est la découverte du monde, de sa chair et de sa réalité visible. La mère s'appelait Sâyagaueye-yumang, il avait une autre mère qui s'appelait Disi-se-yun-tanà.

Cinquième monde
Avec le cinquième monde, sont venues la parole, la pensée. Dans ce monde, la mère était Enkuàne-ne-nulang. Alors, il n'y avait pas de maisons, mais là, c 'est formée la première maison, pas avec du bois, des lianes et des palmes, une maison en « Alu-na », dans l'esprit, pas plus. « II y avait des gens, mais ils n'avaient pas d'oreilles, pas de bouche, pas d'yeux, ils n'avaient que des pieds, alors la mère leur a demandé de parler. C'est la première fois que des gens ont parlé. Mais comme ils n 'avaient pas de langage ils ont juste dit, nuit, nuit, nuit. » C'est la confrontation, la rencontre, la création du lien qui rattache, qui relie ou qui repousse. C'est la pensée... Il y a cinq mondes.

Sixième monde
Alors, le sixième monde s'est formé, s'est mis en place. Sa mère était Bunkuàne-ne-nulang, son père était Sai-Chakà. Ils formaient un corps, un corps entier avec des bras, des pieds, une tête. Alors, les maîtres du monde ont commencé à naître. Au début, ils étaient deux : le Bùnkua-sé bleu et le Bùnkua-sé noir, et dans chacun il y avait neuf Bùnkua-sé. Ceux du côté gauche étaient tout bleus et ceux du côté droit étaient tout noirs.
Le corps est entier, deux esprits vont pouvoir naître, le monde va se diviser en deux parties. La recomposition... Avec le sixième monde vient le temps des extrêmes, explorations obscures des profondeurs de l'âme.

Septième monde
Alors, s'est formé le septième monde et sa mère était Ahùnyikà. Alors, le corps n 'avait pas de sang, mais maintenant il commence à avoir du sang. Beaucoup de vers sont nés sans os et sans force. Tout ce qui doit vivre dans le monde est vivant, le corps est entier. C'est la recomposition, la recherche de l'axe de vie. Maintenant il y a sept mondes.


Huitième monde
Alors va se former le huitième monde, et sa mère s'appelait Kenyajé. Son père était Ahuinakatana. Alors sont nés les pères et les maîtres du monde. Il y avait trente-six pères et maîtres du monde, il y avait quatre fois neuf pères et maîtres du monde. C'était les premiers. Mais quand ce monde s'est formé, ce qui devait aller vivre loin n 'était pas complet, pas terminé. Presque, mais pas tout à fait. Il n'y avait pas encore d'eau partout. Le jour, la lumière n'étaient pas encore là. Mais les esprits sont là, tous. C 'est « Yuluka », le temps de l'harmonie.

Neuvième monde
Être et dire... Alors, s'est formé le neuvième monde. Il y avait neuf Bùnkua-sé blancs. Alors, les pères du monde ont rencontré un grand arbre, et dans le ciel, sur la mère, sur l'eau, ils ont fait une grande maison. Ils l'ont faite en bois avec des palmes et des lianes, bien faite, grande et puissante comme une grande Kankurua. Cette maison, ils l'ont appelée Alnàua [Aluna]. Mais, il n 'y avait pas encore de terre. Le jour n 'était pas encore levé. Ainsi, les choses furent faites, ainsi est né Sintana. C 'est la mort (l'ouverture au cosmos) de l'être et sa renaissance au monde. Ça pourrait être l'unicité, le dépassement dans un tout infini.