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Le
cercle de fées
Conte
Gallois
I
Un
jour, un garçon d'une douzaine d'années avait mené le troupeau
de moutons de son père sur les pentes du Petit-Freni, non loin
du village de Crymych. Quand il fut arrivé à la pâture, il
y avait encore un peu de brouillard autour du sommet de la
montagne, et le garçon essayait de voir d'où était venu ce
brouillard. Les gens du pays disait en effet que, lorsque le
brouillard venait du côté de Pembroke, il ferait beau, mais
s'il venait de Cardigan, il ferait mauvais.
Comme il regardait autour de lui ce paysage tranquille et silencieux, la surprise
le fit tout à coup sursauter : il apercevait en effet, sur les pentes
du Grand-Freni, un groupe de gens qu'il croyait bien être des soldats,
en train de s'affairer en cercle, comme pour un exercice. Mais le garçon
commençait à connaître les habitudes des soldats, et il se dit lui-même
qu'il était trop tôt dans la journée pour ceux-ci fussent déjà là. Laissant
le troupeau pâturer tranquillement sous la garde des chiens, il marcha
dans cette direction et, quand il fut plus près, il constata que ce n'étaient
pas des soldats qu'il voyait ainsi, mais des gens appartenant au peuple
féerique. Et ils étaient occupés à danser en rond, sans se soucier de
ce qui se passait autour d'eux.
Le garçon avait entendu bien des fois les vieux du village parler des fés et,
lui-même, il avait vu souvent les cercles qu'avaient laissées les "petites
gens" sur l'herbe, le matin, après avoir dansé toute la nuit. Mais il
n'en avait jamais encore rencontré. Sa première idée fut de retourner en hâte à la
maison pour raconter à ses parents ce qu'il avait vu, mais il renonça à ce
projet, se disant que les fées risquaient de ne plus être là lorsqu'il reviendrait.
Il se décida à approcher prudemment pour mieux les observer. De toute façon,
il savait bien que les "petites gens" ne l'attaqueraient pas : tout
ce qu'il craignait, c'est qu'elles disparaissent lorsqu'elles se seraient aperçues
de la présence d'un être humain. Il s'avança donc le long des haies pour mieux
se dissimuler et parvint ainsi sans encombre le plus près possible du cercle.
Là, il se tint immobile et ouvrit les yeux tout grands pour ne rien perdre
de la scène.
Il put ainsi constater que, parmi les "petites gens", il y avait
un nombre égal d'hommes et de femmes, mais tous étaient extrêmement élégants
et enjoués. Tous n'étaient pas en train de danser et quelques-uns se tenaient
tranquillement à proximité immédiate du cercle, attendant d'entrer dans la
ronde. Certaines femmes montaient de petits chevaux blancs fringants. Mais
ils portaient tous de beaux vêtements de différentes couleurs, et c'est parce
que certains d'entre eux avaient des habits rouges que le garçon avait pensé à des
soldats.
Il était là, en pleine contemplation de ce spectacle inhabituel, quand les "petites
gens" l'aperçurent. Au lieu de paraître hostiles ou de s'enfuir, elles
lui firent signe d'entrer dans le cercle et de se joindre à leurs danses. Il
n'hésita pas, mais, dès qu'il fut entré dans le cercle, il entendit la plus
douce et la plus irrésistible musique qu'il connût. Immédiatement, sans comprendre
ce qui se passait, il se retrouva au milieu d'une élégant demeure, aux murs
recouverts de tapisseries de toutes couleurs. Des jeunes filles ravissantes
l'accueillirent et le conduisirent dans une grande salle où des nourritures
appétissantes étaient disposées sur une table. Elles l'invitèrent à manger,
et le garçon, qui ne connaissait guère que les habituelles pommes de terre
au lait de beurre qui constituaient le repas de la ferme, se régala avec des
plats d'une exquise finesse, tous à base de poissons. Et on lui donna à boire
le meilleur vin qui fût, dans des coupes d'or serties de pierres précieuses.
Le garçon se croyait au paradis. La musique et le vin l'engourdissaient, et
la vue de ces jeunes filles empressées autour de lui le ravissait. L'une d'elles
lui dit alors d'un ton aimable :
- Tu peux rester ici autant que tu veux. Tu te réjouiras avec nous jour et
nuit et tu auras à manger et à boire autant que tu le désires. Mais il ya une
chose que tu ne devras jamais faire : c'est de boire l'eau du puits qui se
trouve au milieu du jardin, même si tu as très soif, car alors, tu ne pourrais
plus demeurer ici.
Le garçon se hâta d'assurer qu'il prendrait grand soin à ne pas enfreindre
cette interdiction. Et quand il fut bien rassasié, les jeunes filles l'emmenèrent
danser. Il ne se sentait pas fatigué le moins du monde et se sentait capable
de s'amuser ainsi durant sa vie entière. Jamais il n'avait été à une telle
fête, jamais il n'avait éprouvé une telle joie, un tel bonheur de se trouver
au milieu d'un luxe inconnu, avec des gens élégants et ditingués qui le traitaient
ainsi avec douceur et courtoisie. Il lui arrivait de penser à la ferme, à son
troupeau, à ses parents, mais il chassait vite ces images de son esprit pour
mieux s'absorber dans la danse et la musique.
Un jour, cependant, comme il prenait l'air dans le jardin, au milieu des fleurs
les plus belles et les plus parfumées, il s'approcha du puits et se pencha
pour voir ce qu'il y avait à l'intérieur : il aperçut une multitude de poissons
brillants qui frétillaient et qui renvoyaient vers lui la lumière du soleil.
Alors, il ne put résister : il tendit son bras et sa main toucha la surface
de l'eau.
Aussitôt, les poissons disparurent et un cri confus se répendit à travers le
jardin et la demeure. La terre se mit à trembler brusquement et le garçon se
retrouva au milieu de son troupeau, sur la pente du Petit-Freni. Il y avait
toujours la brume au sommet de la montagne, mais le garçon eut beau chercher
partout, il ne put découvrir aucune trace du cercle, aucune trace du puits
ni de la demeure des fées. Il était seul sur la montagne, et ses moutons paissaient
paisiblement comme si rien ne s'était passé.
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